Claude Thédore
CARUELLE d'ALIGNY

(1798-1871)

Aligny
Caruelle d'Aligny jeune

Pionnier parmi les jeunes peintres paysagistes qui sortirent de leur atelier pour aller peindre la nature sur le motif, Caruelle d'Aligny sera l'un des premiers à peindre autour de Barbizon puis fera partie du "Groupe de Marlotte", comme nous le raconte ci-après Pierre Doignon :

Dans la longue série des paysagistes qui ont illustré la Forêt de Fontainebleau et ses bornages au XIXe siècle (nous en avons répertorié 960 célèbres ou consacrés par une participation au Salon de Paris, et traiterons, dans un prochain numéro de ce Bulletin, des 40 qui ont célébré spécialement Marlotte et ses sites), Claude d'Aligny figure au rang des bons peintres de nature pure, honorablement placé dans la renommée et d'une cote "marchande" appréciable.

Sa biographie, ses oeuvres, son art, ont fait l'objet de notices, travaux et chroniques nombreux et récemment encore Jacques Thuillier et Marie-Madeleine Aubrun avec le Catalogue de l'exposition qui a été consacrée à ce peintre en province de février à septembre 1979. Nous traiterons donc uniquement ici de ses attaches à Bourron-Marlotte et des sites locaux dont il s'inspira.

Né d'un père artiste-peintre au Château de Chaumes (Nièvre) le 14 janvier 1798, mort à Lyon en 1871, Claude Caruelle d'Aligny fut "un des premiers combattants de l'École de Barbizon qui chercha à dégager les sites de Fontainebleau, les grandes lignes de ses déserts rocheux, son style et comme son côté permanent" (Bouret, 1975). Il devint familier de la forêt de Fontainebleau dès 1820, à 22 ans (Aubrun, 1979) et compta en 1824 au nombre des premiers clients de l'Auberge Ganne, à Barbizon (Sensier, manuscrit Bibliothèque municipale Fontainebleau) où il loua une maison et y séjourna chaque année, ainsi que Brascassat l'a écrit à un ami en 1832.

Caruelle d'Aligny
Rochers de Fontainebleau
Mais on sait aussi (Miquel 1975) que d'Aligny travailla très tôt à Marlotte - au moins dès 1828 - au bord du Loing, au bornage forestier, exécutant de nombreuses études, esquisses, dessins conservés au Cabinet des dessins du Louvre (de Forges, 1963, 1971); il exposa pour la première fois une figuration des rochers de Fontainebleau au Salon de Paris en 1833, œuvre qui "surprit ses contemporains par son naturalisme" (Aubrun, 1979). Le jury du Louvre refusa d'ailleurs cette même année 1833 son «Étude d'après nature en Forêt de Fontainebleau» (Archives du Louvre).

Préférant définitivement Marlotte à Barbizon, il y loue en 1836 une chaumière où il séjourne à peu près tous les étés et qu'il acheta quinze ans plus tard. Située 22, rue Delort actuelle, la propriété est contiguë à la forêt "avec une terrasse dominant la plaine et sur laquelle il fit établir une pergola (souvenir d'Italie) ombragée de vignes et de plantes grimpantes s'ouvrant sur la Vallée du Loing" (Michel, 1909). Après 1837, Corot, Rousseau, Diaz vinrent y retrouver d'Aligny pour travailler dans les sites forestiers proches: Mare aux Fées, Gorge aux Loups, Long Rocher, notamment.

solitude
Caruelle d'Aligny : Solitude
La vie des rapins à Marlotte a été relatée par Murger dans son roman "Adeline Protat". On y voit d'Aligny, soucieux d'exactitude, émondant la végétation folle, raclant la mousse tapissant les roches pour observer et peindre leur structure, à l'inverse de son camarade et cadet Auguste Allongé - auquel nous consacrerons une chronique future, marlottain comme lui pendant 20 ans, mais qui affectionnait, lui, les roches moussues.

Caricature de romancier, penserez-vous? Que non: "On voit d'Aligny travailler devant le motif, étudier inlassablement les formes des rochers, l'indéchiffrable intrication des branches" (Thuillier 1979). Au moins dans sa première manière, il aime les lignes pures, dépouille les formes, structure les volumes. "Ses premiers plans repoussent les masses rocheuses; une maigre végétation se détache sur un ciel d'opale." (Aubrun, 1979).

En 1851, d'Aligny devint propriétaire à Marlotte. Il achète pour 1149 f les 2054 m2 de terrain où se trouve la villa qu'il louait au 22 rue Delort depuis quinze ans.

Deux années plus tard, le 25 mars 1853, il agrandit son domaine à 4300 m2 par un nouvel achat (746 F) de jardin contigu. La villa, qui existe toujours, est représentée en photo contemporaine sous deux aspects dans le Catalogue de l'exposition d'Aligny 1979.

Caruelle d'Aligny Carriere
Carrière dans la forêt de Fontainebleau
Notre ami Henri Froment me précise qu'il y a en fait deux maisons face à face avec un immense parc derrière. La villa d'Aligny est habitée par Bernard Humbert, vice-président des Amis de Bourron-Marlotte, dont toute la famille (5 membres) est adhérente à l'Association. Un bel exemple d'attachement aux "racines" !

Pendant dix ans encore, Claude d'Aligny poursuivit conscieusement sa quête paysagère à Marlotte où il accueille Cabat, Cicéri, Nazon, Desgoffe, Corot, Saint-Marcel, Allongé, Curzon. Son art devient plus officiel, voire académique dans ses productions de commande où il représente des sites à thèmes historiques ou mythologiques.

Puis, en 1861, il est nommé directeur de l'École des Beaux-Arts de Lyon et membre correspondant de l'Institut. Absorbé par ses nouvelles fonctions, il délaisse le paysage et ne revient plus à Marlotte où sa propriété fut reprise par Corot (Champigneulle 1965).

Caruelle d'Aligny Bacchus
L'Enfance de Bacchus
Il meurt à Lyon en 1871, à 73 ans. Résidant à Marlotte, mais venant de Barbizon et installé volontairement au bornage, d'Aligny s'est tourné essentiellement vers la forêt pour peindre, de sorte qu'il est quasi impossible de dissocier dans son œuvre les toiles Ð et encore moins les dessins Ð exécutés dans l'orbite directe de Bourron-Marlotte. Même parmi ceux qu'il localise lui-même, il s'agit encore de sites forestiers proches qui lui furent familiers pendant 30 ans: Gorge aux Loups, Mare aux Fées, Rocher Boulin, etc.

C'est ainsi qu'il a exposé au Salon de Paris un "Chemin de la Gorge aux Loups" (1852) "Le soir, vue prise des Forts de Marlotte" (1859), "Vue prise du Long Rocher" (1859). De très nombreuses études d'arbres et de rochers conservées au Louvre et dans les musées ont été exécutées près de Marlotte. Un dessin daté du 8 octobre 1842 (Musée de Bordeaux) prélude à la toile "Gorge aux Loups et Longs Rochers" de la même année; un autre intitulé "Forts de Marlotte, le 11 août 1851" (Louvre) se matérialise dans "Forts de Marlotte" (Musée de Clamecy) de cette date; une étude préparatoire de 1858 (Louvre) a servi à la "Vue prise des Longs Rochers" (Musée de Metz). De même pour le"Rocher Boulin, étude du 4 septembre 1851" (Musée de Lille), le dessin "Marlotte, Forêt de Fontainebleau, 9 sept 1854 (Collection privée) et les dizaines d'autres non localisés ou portant la simple mention "Forêt de Fontainebleau".

Non seulement Claude d'Aligny fut un pionnier à Barbizon et le premier de cette "école" à découvrir et préférer Marlotte, mais il fut, d'avantage que d'autres plus célèbres - à commencer par Millet qui travaillait surtout le dos à la forêt, en plaine de Bière -, un scrupuleux paysagiste des sites de Fontainebleau dans le style flaubertien, naturaliste, de facture moins romantique que Rousseau et moins chromatique que Diaz, plus simple, directe et proche d'une nature moins largement "interprétée". Il méritait bien qu'on le sorte de l'ombre.

Pierre DOIGNON
inspiration
Caruelle d'Aligny : L'Inspiration
Source : A.B.M N°7 - 1980

Bourron-Marlotte: Un Village qui se raconte

 
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