Étapes d'un touriste dans le Gâtinais vers 1895

Souppes
Château-Landon
par Alexis Martin

Saint Severin

Une quinzaine de kilomètres nous séparent de Château-Landon. Grâce au chemin de fer départemental, nous les aurons rapidement franchis; mais comme le train stoppe à Souppes, nous profiterons de cette circonstance pour visiter ce petit pays.

Après avoir roulé pendant un peu plus d'une demi-heure, nous descendons dans une gare qui se trouve au milieu d'un village semi-paysan, semi-bourgeois, industriel aussi. Ce pays est Souppes; il compte à peu près 3000 habitants, possède d'importantes briqueteries et, de plus, exploite des carrières de pierre d'une exceIlente qualité. C'est en pierres de Souppes que sont construites en grande partie les fondations de la basilique du Sacré-Cœur à Paris.

Une mairie bâtie en 1879, mais attendant encore le cadran d'horloge qui doit décorer sa partie supérieure, de vastes écoles sans prétention au luxe, des habitations rustiques, un champ de betteraves au milieu d'une voie publique, des maisons bourgeoises de belle apparence, quelques constructions plus importantes ornées de tourelles, agrémentées de jardins, voilà tout ce que vous verrez à gauche de la voie ferrée qui passe au milieu du village et le coupe en deux.

De l'autre côté de la ligne, nous sommes dans ce qu'on serait tenté d'appeler le vieux Souppes, si la dénomination n'était un peu prétentieuse. Là, rue Voltaire, place de la République en particulier, paraît s'être concentré tout le commerce de détail du lieu; mais, disons-le, depuis la boutique de l'épicier qui vend des chaussures jusqu'à celle du papetier qui vend des pipes, depuis l'étalage de l'horloger-bijoutier jusqu'à la montre du négociant en nouveautés, tout est de la plus modeste apparence, de la plus grise et de la plus triste mine. Sur la place de la République, au chevet de l'église, se dresse un grand auvent en charpente monté sur parpaings: c'est la halle.

SOUPPES ET CHÂTEAU-LANDON

Eglise de Souppes
Église de Souppes : Dessinée par A. Charpin
L'église n'a pas de portail; on entre dans sa nef unique par une jolie porte ouverte sur l'un de ses flancs.

C'est un monument du treizième siècle, simple, pur de style, d'un ensemble imposant et grandiose. Les piliers soutenant les voûtes sont faits de colonnes assemblées décorées de chapiteaux feuilllagés.

Dans le pignon qui pourrait être la façade sont percées deux belles fenêtres ogivales à deux compartiments, avec roses à quatre feuilles entre les retombées

On voit dans l'église un curieux retable sculpté dont les panneaux nombreux, mais de petites dimensions, représentent diverses scènes de la passion de Jésus-Christ. Les personnages coloriés (ils sont au nombre de quatre-vingt-dix), hauts de 10 ou 15 centimètres, sont très remarquables autant par les expressions de leur physionomie que par l'originalité de leur groupement et la vérité de leurs diverses attitudes.

Sans quitter le territoire de la commune de Souppes, on peut faire une promenade agréable et gagner un petit bois voisin de Bagneaux. On rencontre là un beau groupe de huit polissoirs; ils sont classés au nombre de nos monuments historiques.

De retour à la gare, nous trouvons tout prêt à partir un train composé de deux ou trois wagons disposés comme nos omnibus parisiens et, ainsi qu'eux, garnis de plateformes; une petite locomotive fume doucement à l'avant, le chef de gare donne un faible coup de sifflet, le mécanicien fait un imperceptible mouvement, le train se met en marche à très petite vitesse. Dans dix-sept minutes, nous aurons atteint le point terminus de la ligne, Château-Landon.

Rien de plus amusant et de plus na•f aspect que ce petit chemin de fer; il traverse le Loing, rivière et canal, sur un pont; passe, sans que rien l'en sépare, au milieu des vignes et des champs; les paysans qui travaillent à leur champ et les bestiaux qui paissent la luzerne le regardent aller sans émoi; une route se présente-t-elle, il la franchit sans qu'un signal annonce sa venue, sans qu'une barrière glisse sur ses coulisseaux pour fermer la voie. C'est bien véritablement, on ne peut s'empêcher de le reconnaître, le légendaire Ējoujou qui conduit les citadins à la campagne » !

Après s'être arrêté une seule fois, à Montuffe, à proximité d'une grande sucrerie, il stoppe à Château-Landon devant une gare minuscule, mais construite dans un site ravissant.

Chateaulandon
Château-Landon dessiné par A. Charpin
La ville, autrefois prévôté royale, aujourd'hui chef-lieu de canton, compte environ 2900 habitants; comme une vigilante sentinelle, elle domine un vallon pittoresque et accidenté, que le Loing et le Fusain arrosent et où les prairies étalent des nappes rectangulaires tachées d'ombres noires et mouvantes, ici projetées par des taillis épais, là par de majestueux peupliers.

Quant à la ville, elle étend en longueur sa suite de toits gris et roux dominés par une tour carrée haute de trois étages, percée à chacun d'eux de fenêtres ogivales, formant deux baies grandes ouvertes à l'air, traversées par le jour et séparées par des groupements d'élégantes colonnettes; c'est la tour de l'église Notre-Dame; elle est surmontée d'une pyramide ardoisée accostée de quatre jolies mansardes.

Plus loin, sur le premier plan du tableau, se dresse la vieille tour de l'église Saint-Thugal (et non Sainte-Ugalde, comme on l'a écrit souvent); puis, au bout du panorama et le limitant, on voit une longue suite de contreforts soutenant un mur percé de fenêtres ogivales, en avant duquel se détache, fine et coquette sous son toit d'ardoises que le soleil argente, une tour ronde contenant sans doute un escalier.

Cette masse grise, séduisante par sa forme, imposante par sa masse, retient longtemps le regard; c'est une partie de ce qui reste de l'abbaye de Saint-Séverin.

Parler de Saint-Séverin, c'est remonter sinon à l'origine de Château-Landon, du moins au temps où il devient possible d'étudier son histoire. On assure que Château-Landon, Castrum Nautonis, fut fondée par Samothes et Dryus, rois des Gaules, arrière-petits-fils de Noé, et qu'elIe existait, conséquemment, au temps de la domination romaine; on prétend que, soixante ans avant Jésus-Christ, elle força l'armée de César à s'arrêter devant ses murs. On ne dit pas qu'elle tomba au pouvoir du conquérant, mais la chose nous paraît probable.

Quoi qu'il en soit, au commencement de la première race, on ne voyait là qu'un bourg auprès duquel Pascal et Ursion, deux solitaires, s'étaient construit un ermitage des plus modestes.

Or, il arriva que Séverin, abbé d'Agaune, réputé pour sa piété, fut appelé, en 504, auprès du roi Clovis; celui-ci était atteint d'un mal qui, rebelle aux soins des empiriques, céda rapidement aux prières du saint homme.

En quittant la cour, malgré le roi qu'il avait sauvé et les leudes qui le vénéraient, Séverin s'arrêta auprès des solitaires dont nous avons parlé; il se plut dans leur retraite, s'y fixa, y termina ses jours en 508 et fut pieusement enterré par ceux dont il était devenu le compagnon.

Childebert 1er ne fut pas ingrat; il se souvint du dévouement dont Séverin avait fait preuve et, en reconnaissance du soulagement que son père lui avait dû, il fit bâtir une abbaye sur le lieu de sa sépulture.

Childebert
Childebert Ier
Là comme ailleurs, la présence de la pieuse maison attira des habitants dans la contrée, et le bourg, peu à peu transformé et agrandi, était, au neuvième siècle, une ville assez importante pour devenir la capitale du Gâtinais et le séjour de ses comtes.

Quand Charles le Chauve céda la province au comte Cestrif, Château-Landon avait déjà un atelier monétaire, qui fonctionna longtemps encore (1).

En 1062, le comte Foulques IV, ayant assassiné son frère Geoffroy, céda le Gâtinais au roi Philippe 1er qui, à ce prix, lui pardonna son forfait.

Les temps suivants, douzième, treizième et quatorzième siècle, furent particulièrement prospères pour la ville. Elle atteignait des proportions qu'elle n'a plus; sa longueur, dit-on, était d'une lieue, Une forteresse puissante la défendait et surveillait la vallée voisine.

Le roi Louis le Gros vint en habiter le château en 1119, alors que les chanoines d'Étampes étaient en querelle avec leurs voisins les abbés de Morigny.

En ce temps, le commerce de la ville devait avoir acquis une grande importance, car les juifs en occupaient tout un quartier. Là comme ailleurs, faisant le change et la banque, ils étaient devenus fort riches; on rencontrait de beaux édifices et de confortables habitations dans les rues qu'ils occupaient. Louis VII, qui vint à Château-Landon en 1141 et y fit frapper monnaie, ne vit pas les israélites d'un bon œil. Néanmoins, ce ne fut que longtemps plus tard, en 1174, qu'il leur interdit l'exercice de leur religion. Cette mesure n'était que le prélude d'une expulsion générale qui eut lieu au cours de l'année 1180.

Plusieurs fois assiégée et prise par les Anglais au cours de la guerre de Cent ans, Château-Landon vit son étoile pâlir dès le commencement du quinzième siècle. A cette époque, en exécution d'un traité conclu entre Charles VI et Charles III de Navarre, la ville passa au duché de Nemours et, pendant près de deux cents ans, son histoire n'est plus qu'une suite de sièges.

Les Anglais, qui s'en étaient emparés en 1436 et que le connétable de Richemont avait chassés l'année suivante, reparurent devant ses murs au cours de l'année 1468 et incendièrent l'abbaye de Saint-Séverin.

Pendant les guerres du seizième siècle, Château-Landon fut tour à tour prise en 1556, par du Boulay, grand baron du Gâtinais, en 1567 par les reîtres du prince de Condé qui, eux aussi, saccagèrent l'abbaye; en 1569 reparut du Boulay; en 1587, ce fut le tour des protestants allemands; en 1589, enfin, la ville tomba au pouvoir de Tignouville qui bataillait pour Henri IV.

Chaque victoire, cela va sans dire, fut invariablement accompagnée d'un pillage en règle; le plus désastreux fut celui de 1587.

Ici s'arrête l'histoire de Château-Landon. Disons un mot de ses habitants; ils ont eu de tout temps la réputation d'être fort moqueurs.

Petite ville et grand renom,
Nul n'y passe sans son lardon
(2),

est un vieux distique dont nous ignorons l'auteur, mais qui, paraît-il, peignait bien le caractère de la population. Henri IV, dit-on, quand il séjourna dans la ville, n'échappa point au lardon(2); le Béarnais avait bon caractère et ne se fâcha pas. Poitevin, historien de la ville, qui écrivait en 1836, paraissait convaincu que les habitants méritaient toujours leur vieux renom.

Aujourd'hui, tout est changé, vous en aurez la preuve, si vous voulez nous suivre; on peut traverser le pays et même y séjourner sans redouter les brocards et même à l'occasion y trouver un accueil affable.

Les historiens du lieu vous raconteront encore qu'au dix-huitième siècle, les Château-Landonnais saluaient volontiers par d'interminables charivaris les unions disproportionnées ou que n'approuvait pas l'opinion. Ils vous diront que l'autorité était souvent obligée d'intervenir pour faire cesser ces scandaleuses manifestations.

Aujourd'hui, des taquineries de ce genre n'auraient aucune chance de succès, et la population elle-même se chargerait d'imposer silence aux tapageurs.

Nous ajouterons que le pays, commerçant au moyen-âge, et plus peuplé que de nos jours est actuellement une cité industrielle; on y fabrique de la chaux, du blanc imitant le blanc de Meudon, de la bourrellerie, de la vannerie; on y voit une grande fabrique de papier, enfin on y exploite des carrières de pierre dure très estimée et susceptible de recevoir un fort beau poli. La pierre de Château-Landon a été employée pour la construction de l'arc de triomphe de l'Étoile.

Nous nous acheminerons d'abord vers l'église Notre-Dame; c'est un monument historique et l'un des plus curieux de la contrée.

Notre-Dame;

Tour et abside de l'église Notre-Dame, par Charpin
Le portail est roman, la façade, aveugle à gauche, était percée à droite d'une jolie fenêtre ogivale qui s'ouvrait entre deux gros contreforts; elle est aujourd'hui bouchée. La porte étant close, nous faisons le tour de l'église. Deux autres portails de même style que le précédent s'ouvrent sur ses flancs au-dessus de quelques marches; ils sont en bon état de conservation; on voit encore de jolies sculptures dans les ébrasements et des chapiteaux curieusement fouillés par le ciseau; au-dessus, dans le pignon, s'ouvre une grande fenêtre à plein cintre.

Dans l'intérieur, nous éprouvons une surprise. Coupée en deux par un grand mur, à la hauteur du transept, l'église n'est qu'à demi livrée au culte. La nef flanquée de bas côtés à laquelle le grand portail donne accès, romane à gauche, ogivale à droite, est très ruinée, mais fort curieuse pourtant.

Dans le côté roman, M. Millet, architecte du gouvernement, a constaté l'existence de certaines parties remontant au delà du dixième siècle; dans le bas côté droit, le douzième siècle apparaît avec ses gros piliers, faits de colonnes engagées supportant encore des amorces d'arêtes qui durent être fines et hardies quand elles montaient vers des voûtes, aujourd'hui disparues.

Dans cette partie de l'édifice, qu'un toit en ruine préserve mal des dégradations, on entasse les bancs, les chaises, les dais, les tréteaux, les objets hors d'usage. Rentrons dans l'église.

Celle-ci comme Saint-Pierre de Beauvais, n'est actuellement qu'un large chœur, flanqué de chapelles et accosté de croisillons. Le chevet en hémicycle est éclairé par trois fenêtres à plein cintre, entourées de boudins et garnies de vitraux modernes.

La chapelle de la Vierge occupe une absidiole à droite du chœur; on y remarque, preuves de la haute antiquité de la construction, des piscines creusées dans la muraille. Sous le clocher, la chapelle du Sacré-Cœur est décorée de belles boiseries sculptées.

L'église de Notre-Dame est dans son ensemble, un des édifices où la transition du plein cintre à l'ogive peut être étudiée avec le plus d'intétêt; le roman modifié du commencement du douzième siècle s'y montre sévère encore, mais élégant déjà.

Le chœur est de la fin du douzième siècle et du commencement du treizième; la tour est incontestablement sa contemporaine.

Il est bon de faire observer ceci, car une inscription placée dans l'église et ainsi conçue, pourrait induire visiteurs en erreur:

«La tour a été bâtie en 1450 par N***, patriarche d'Antioche, évêque de Poitiers, et depuis archevêque de Reims, exécuteur testamentaire de Simon Samedi (dit Bontemps), en son vivant serviteur et maître d'hôtel dudit Monseigneur et natif de cette paroisse; a donné pour faire le clocher somme de 355 livres 10 sols tournois.»

Le clocher n'était pas à faire au milieu du quinzième siècle; l'argent du donateur a dû être employé à quelques réparations.

L'état de délabrement de l'église et son aspect incomplet vont disparaître bientôt, une restauration complète de l'édifice est résolue.

Un rectangle planté, qui se trouve à gauche de la place du Marché, forme au-dessus de la campagne une sorte de terrasse d'où on peut la contempler tout en revoyant à gauche la tour Saint-Thugal et les restes de l'abbaye de Saint-Séverin.

La rue de la Ville Forte nous conduit à l'hôtel de ville; c'est un bâtiment fort simple, tout neuf, éclatant de blancheur, enté sur une construction renaissance dont il subsiste encore quelques fenêtres maintenant privées de leurs meneaux.

Auprès de l'hôtel de ville, toujours dans la rue de la Ville-Forte, vous verrez portant au-dessus de son entrée la date de 1633, mais certainement plus ancienne en quelques-unes de ses parties, la maison qui fut celle des prévôts et des baillis de la ville.

Un peu plus loin, au fond d'une propriété particulière se dresse, fière et solide encore, la tour romane de Saint Thugal, construction du dixième siècle, seul reste d'une église jadis belle et riche.

Cette église, qui fut l'une des quatre paroisses de la ville au temps de sa splendeur, avait été originairement placée sous l'invocation de saint Étienne (3). Les reliques de saint Thugal y ayant été déposées en 903, elle changea de nom et selon toutes probabilités fut alors reconstruite et agrandie. Le pillage de 1587 commença la ruine de l'édifice. A cette époque, la châsse de son patron fut brûlée par les protestants; de toutes les reliques qu'elle contenait, un seul os a échappé au feu; il est maintenant conservé à Notre-Dame.

Tout à l'extrémité de la ville, presque dans la campagne, environnées de bois aux frais ombrages, on voit d'autres ruines encore: ce sont celles de la fameuse abbaye de Saint-Séverin. On les a récemment transformées en hospice départemental.

Abbaye St Severin

Abbaye de Saint-Séverin devenu Hospice
La maison abbatiale de Saint-Séverin, nous l'avons dit, a été fondée par Childebert; le premier couvent fut édifié en 545; mais dans les constructions encore debout nous ne retrouverons rien qui remonte au delà du douzième siècle.

Le bâtiment le plus important, celui que nous avons déjà aperçu de loin et dont la création de l'hospice n'altère point l'aspect extérieur, est un édifice à la fois civil, militaire et religieux. La longue façade qui regarde la vallée est soutenue par six contreforts à trois redans percés d'une meurtrière sous le larmier; l'angle du corps de logis regardant la ville est protégé par la haute tour ronde dont nous avons parlé et qui, ainsi que nous l'avons pensé, contient un escalier; elle est percée de meurlrières dans sa montée et de baies carrées au-dessous d'une corniche qui la couronne et soutient le toit conique.

Sur le flanc du monument, on voit encore les modillons qui supportaient une galerie extérieure servant de chemin de ronde.

Autour de ce corps de logis, d'aspect imposant, se groupent des restes de constructions assez nombreux; il y a là des salles voûtées aux clefs ornées, des arceaux brisés, des fenêtres vides, des amorces de tourelles, toutes choses parmi lesquelles on reconnaît les styles des douzième, quinzième et seizième siècles, trois époques où la maison fut l'objet de réparations importantes.

Le monastère de Saint-Séverin a, grâce à M. Bulot, architecte, repris, en ce qui concerne la façade, son aspect primitif; il est maintenant transformé en un superbe asile de vieillards agrémenté de beaux jardins d'où les pensionnaires jouissent d'une vue magnifique.

La maison a été inaugurée le 15 septembre 1895; ses cinq étages sont desservis par un escalier monumental. Beau promenoir couvert, vastes réfectoires, dortoirs aérés pouvant contenir cent quatorze lits, on y trouve tout cela éclairé à la lumière électrique et chauffé par des calorifères à vapeur.

Du château qui abrita des rois jadis et supporta tant d'assauts, on ne voit plus aujourd'hui que quelques pans de murailles, deux tours et de vieilles poternes encadrant pittoresquement des escaliers qui descendent vers le bas de la ville. Nous vous avons dit qu'il y avait jadis de belles constructions dans le quartier habité par les israélites; on peut voir dans la rue aux Juifs, aujourd'hui rue du Porche, la curieuse maison qui fut autrefois la maison au change et qu'on appelle maintenant la Monnaie.

Elle présente sur la rue un grand pignon dont le comble triangulaire est orné d'une fleur à son sommet et de deux gargouilles à sa base; le premier étage est éclairé par deux fenêtres à meneaux. C'est un beau type des maisons bourgeoises du temps de saint Louis.

Non loin de la maison au change se dressent encore quelques vestiges d'un édifice religieux qui fut autrefois l'église Saint-André. Le portail aux ébrasements profonds et les deux ouvertures cintrées qui le surmontent suffisent pour nous révéler l'âge du monument. Il remonte au douzième siècle, et sous la couche de mousse qui l'enveloppe, sous le frémissement de la dentelle de pariétaires qui la borde, la ruine conserve un aspect souriant et probablement elle restera debout pendant de longs siècles encore.

Saint-André
Ruines de l'église Saint-André par Charpin
L'abbaye de Saint-Séverin ne fut pas la seule célèbre dans la région. A Pontfrault, un petit hameau situé à 2 kilomètres de Château-Landon, existait, dès le neuvième siècle, un monastère de femmes qui jouissait déjà d'une grande réputation.

Le roi Louis VII, par une charte signée à la Chapelle-la-Reine, lui avait donné les terres de BlancVilain, Lorris, Étampes et Sens; Philippe-Auguste lui accorda la possession du moulin de Chantereine; ses successeurs continuèrent leur protection à la communauté, qui pendant plusieurs siècles alla s'enrichissant toujours.

La maison avait le privilège de recevoir les reines de France quand les rois venaient à Château-Landon; une fille de Philippe Ier, Jeanne, duchesse de Bretagne et comtesse de Château-Landon, fut enterrée dans l'église abbatiale.

Thomas Becket
Thomas Becket
Au douzième siècle, lorsque Thomas Becket vint en France, il séjourna à Pontfrault et en consacra l'église, sans doute nouvellement réédifiée. Les vêtements sacerdotaux que l'archevêque de Cantorbéry portait ce jour-là ont été conservés; ils sont déposés maintenant au trésor de la cathédrale de Sens.

Au commencement du dix-septième siècle, vers 1610, l'établissement étant régi par le frère Jacob Anqueure, on y enferma pendant deux ans un lépreux nommé Charles Bodau. A cette époque, l'étoile de l'abbaye, si brillante jadis, commençait à pâlir; dès l'an 1680, l'église n'était plus qu'une simple chapelle et l'abbaye qu'un prieuré qui, bientôt, se transforma en maladrerie; cette dernière était, nous apprend Doret (Château-Landon et l'abbaye de Saint-Séverin), administrée par Marguerite de Voisines.

L'histoire n'a conservé le nom que d'une seule religieuse, abbesse ou prieure de Pontfrault; cette dame se nommait Claudine de Berthault et appartenait à l'ordre de Saint-Augustin, de Bourgoin en Dauphiné; elle était à la tête de la communauté en 1674.

Les ruines de cet antique lieu de prière sont pour les Château-Landonnais un but de promenade dominicale. Cette visite terminée, cette promenade faite au delà de Nemours dans un rayon qui n'a pas dépassé 20 kilomètres, nous allons reprendre le chemin de fer qui nous a amené à Souppes, nous monterons dans le train de Montargis. La voie ferrée, parallèle à la route de Fontainebleau, laisse à sa droite Poligny, village qui n'a pas 500 habitants et Nanteau-sur-Lunain, que nous avons visité et qui nous apparaît caché à l'ombre des bois; à gauche, nous voyons se dérouler une suite de plaines fertiles. Puis la ligne traverse le canal du Loing, près du village de la Madeleine, petit groupe de fermes et de maisons rustiques où vivent environ 200 cultivateurs, et enfin le train qui l'a suivie stoppe en gare de Nemours.

Ici, nous prendrons un moment de repos avant d'entreprendre une nouvelle excursion.

(1) Les numismates connaissent plusieurs types de pièces frappées à Château-Landon; on signale parmi elles des deniers d'argent de Charles le Chauve et de Carloman II, d'autres aux noms de Philippe 1er, Louis VI et Louis VII. Les deniers de Philippe 1er sont fort rares; ils présentent d'un côté le nom de la ville: Landonis Casti, avec une croix grecque cantonnée de deux croisettes dans le champ, de l'autre le nom du roi: Philippus Rex, inscrit autour d'nne figure. M. Dorvet, dans sa brochure intitulée Château-Landon et l'abbaye de Saint-Séverin, a reproduit une pièce de monnaie frappée sous Louis VII. .

(2) Lardon = sarcasme dont on "larde" un adversaire ou un inconnu. Syn. Brocardé.

(3) Les quatre poroisses de Château-Landon élaient Notre-Dame, Sainte-Croix, Saint-Séverin et Saint-Thugal.

Chateau-landon
Château-Landon : Ville haute (2009)

Saint Séverin

 
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